Benoit Desavoye

Les risques de rejet d’opérations marketing par la communauté des bloggers sont grands

Reprise de mon interview pour Transfert.net par Jean-Marc Manach

Benoît Desavoye vient de lancer lesblogs.com, un site sur lequel il publie un ouvrage en cours d’élaboration, « ouvert » à la participation des internautes. Son sujet : les blogs, ces sites personnels, carnets de note ou journaux plus ou moins intimes au succès grandissant, édités avec des outils très simples et gratuits. Le livre, qui doit être achevé dans deux ou trois mois, n’a pas encore d’éditeur papier.

Benoît Desavoye est spécialiste du marketing tribal, sur lequel il prépare un autre ouvrage, Communautés Virtuelles, lui aussi publié en ligne. Egalement président de l’association SerialWebbers« qui vise à promouvoir la réflexion et le partage d’expériences dans le domaine du marketing et de la communication interactive », il livre, pour Transfert, ses vues sur le développement du marketing dans ce qu’on appelle désormais la blogosphère.

Qu’est-ce donc qui vous a mené du « marketing et de la communication interactive » aux blogs ?
B. D. – Pour pouvoir mettre en oeuvre une communication et un marketing interactifs et efficaces, il est important de bien comprendre les nouvelles technologies au travers de leurs aspects non seulement techniques mais aussi sociologiques. Or, les blogs sont à la fois un phénomène technique fruit d’une grande avancée dans les systèmes de publication, rendus à la fois simples et puissants, et un phénomène sociologique, du fait du grand nombre de bloggers mais aussi des communautés auxquelles ils donnent naissance. Je me suis donc tout naturellement penché sur les blogs. Cela explique aussi l’organisation de mon ouvrage : « la pratique » avec les aspects plutôt concrets et techniques, « le phénomène », qui couvre les aspects sociologiques, et « le business », qui voit comment utiliser les blogs au service de l’entreprise.

Quand et comment avez-vous découvert les blogs ?
Mon intérêt est récent. J’ai découvert les blogs au Canada à l’automne et j’avoue être passé dans un premier temps totalement à côté, sans doute car les blogs sont très différents des médias traditionnels. Au premier abord, ils ressemblent à une simple succession de brèves. Le lecteur doit donc s’investir un peu pour comprendre leur intérêt.

J’ai ensuite eu la chance de parcourir des blogs comme celui de Christophe Ducamp, brillant évangélisateur en ce qui concerne les blogs ou les wiki (des sites dont les internautes peuvent modifier les pages, comme CraoWiki, NDLR) et de m’intéresser à des sujets proches comme les systèmes de gestion de contenu de type SPIP.

J’ai alors pris conscience du grand intérêt qu’ils représentent et j’espère que mon site contribuera, avec tous ceux des blogueurs francophones – ou, devrais-je dire, des « carnetiers » francophones -, à développer l’usage des blogs en français.

Comment voyez-vous le marketing appliqué aux blogs ?
Le marketing appliqué aux blogs me semble devoir être un marketing tribal, s’il veut réussir à tirer parti des possibilités virales de la blogosphère. Selon Bernard Cova, professeur à l’ESCP-EAP, spécialiste français du marketing tribal, le retour de la communauté remet en question les stratégies fondées sur une relation individualisée avec le client.

Le marketing tribal est une approche alternative au marketing relationnel, qui a pour but de soutenir le lien entre clients en les aidant à partager leur passion. Or, les blogs sont un excellent exemple de tribus modernes, puisqu’ils sont des micro-communautés rassemblant des individus ayant des passions communes.

Les risques de rejet d’opérations marketing par la communauté des bloggers sont grands. L’opération pionnière lancée par la boisson américaine Raging Cow montre très bien ces risques (voir notre article « Alerte virale dans la blogosphère« ). Je pense que le marketing tribal permet d’éviter le rejet. L’entreprise qui voudrait l’appliquer aux blogs devrait d’abord identifier précisément les groupes sur lesquels elle va se concentrer.

Quels sont les blogs représentatifs ? Quelles sont les valeurs qui les fondent et quels sont leurs rituels (signes de reconnaissance, langage propre, logo, sites web de références indiqués en lien, etc.) ? Deuxièmement, l’entreprise doit avoir une approche qualifiée par les ethnologues « d’observation participante », c’est-à-dire éviter toute opération marketing trop voyante et plutôt s’investir dans la durée.

Ensuite, il faut aussi faire de son produit un élément qui va renforcer les liens au sein de la communauté. Ainsi, le produit n’apporte plus seulement une solution aux différents besoins ou aux problèmes d’un client, mais il est un élément pleinement intégré à un groupe et en accord avec ses valeurs. Le marketing appliqué aux blogs me semble donc particulièrement exigeant dans sa mise en oeuvre. Il concernera des groupes certes limités mais, à n’en pas douter, il donnera lieu à des opérations très intéressantes.

Avez-vous des exemples concrets de ce que cela pourrait donner ?
Un exemple concret serait, pour les marques qui ont la chance d’avoir de nombreux supporters, comme Harley Davidson ou Apple, de leur proposer un espace dédié pour ouvrir leurs blogs, afin que leurs fidèles s’expriment sur les produits, l’usage qu’ils en font, etc. Cette expérience suppose que la marque accepte de perdre un peu de contrôle sur sa communication en ouvrant ainsi une tribune à ses clients, mais le résultat peut s’avérer complémentaire de ceux atteints par la publicité traditionnelle, car bien plus convaincant et crédible.

La société écossaise N-ary, fondatrice de l’hébergeur gratuit Blog City, propose une solution de ce type appelée « branded blog », très simple à mettre en oeuvre et susceptible d’intéresser des entreprises de toutes tailles (voir, à ce titre, l’interview de son créateur parue ce jour sur le site pointblog.com, NDLR).

Une autre application serait la mise en place d’une démarche proche de celle des relations presse, qu’on pourrait appeler« relations blogs ». Cette démarche peut se cantonner à diffuser de l’information par email à un groupe de bloggers dont les blogs traitent du secteur d’activité de l’entreprise. Mais si l’entreprise crée son propre blog, il est évident que l’information sera ensuite plus facilement intégrée par les bloggers, et que l’entreprise sera considérée davantage comme un membre de leur communauté.

Je pense qu’on retrouve ici une application des idées développées par Jean-François Variot dans « La Marque post-publicitaire », selon lesquelles la marque devient un média. Cet exercice est délicat à mener pour les entreprises, mais les blogs constituent justement un média facile à mettre en oeuvre. Ces deux exemples nécessitent une bonne compréhension du fonctionnement des groupes cibles que constituent les supporters d’une marque ou une communauté de bloggers.

Enfin, le site Skyblog lancé par Skyrock est à mon sens une véritable réussite si on en croit les chiffres. Avec une solution technique légère, Skyrock propose ce que certains qualifient de façon péjorative de « sous-blog ». Pourtant, les résultats sont là. Cette offre répond véritablement à un besoin d’une partie des auditeurs de Skyrock, qui n’auraient d’ailleurs pas créé leur blog sans Skyblog. Skyrock fidélise ainsi ses auditeurs et augmente son nombre de pages vues, donc ses recettes publicitaires en ligne.

Pouvez-vous expliquer ce qu’est le CraoWiki et ce qu’il apporte à votre projet de livre par rapport au site web, qui permet lui aussi aux internautes de réagir aux articles) ?
CraoWiki, et je reprends ici les explications de Christophe Ducamp, est avant tout une merveilleuse aventure de groupe. Cette plate-forme de conversation PhpWiki installée par Arnaud Fontaine est un outil simple et puissant qui permet à tous les membres de la communauté de créer et modifier toutes les pages du site. Il n’y a pas de ligne éditoriale, mais des sujets et des projets qui se construisent.

Les membres de CraoWiki se rencontrent dans le monde « réel » de temps en temps et de façon conviviale. Cette spécificité est sans doute un des facteurs clés de sa réussite. Le site web du livre est très ouvert et conçu pour faciliter les échanges, mais l’esprit collaboratif et convivial que je souhaite pour la réussite de l’ouvrage ne peut être créé ex-nihilo. La communauté des CraoWikistes, dont je fais partie, le lui offre, et je lui en suis reconnaissant.

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